Accor et les salariés référents Santé Vie au Travail (SVT)
Accor et les salariés référents Santé Vie au Travail (SVT)
Lors d’un plan de départs volontaires en 2013 au siège social de la société Accor SA qui a vu le départ de 13% des effectifs (le second en 4 ans), le C.H.S.C.T.[1] a fait réaliser une enquête sur les risques psychosociaux liés à cette restructuration.
Elle faisait suite au plan de départs de 2009 qui avait supprimé 10% des effectifs, et laissé un grand nombre de salariés « déçus » de ne pas avoir pu en bénéficier, ne correspondant pas à la cible du plan. Cette déception a entraîné peu à peu un mal-être au travail et un désengagement que personne n’avait anticipé ni compris. Lorsque le second plan a été annoncé, les candidats au départ ont été largement supérieurs au nombre de postes à supprimer.
L’expertise conduite par le cabinet Aepact a souligné une absence de démarche de prévention et de prise en compte des facteurs de risque de dégradation des conditions de travail et de la santé des salariés. Aepact pointait notamment une surcharge de travail consécutive au redéploiement des tâches des postes supprimés sur d’autres postes, une anxiété de certaines catégories de salariés face à des reclassements non choisis, ainsi qu’un manque de support aux managers dont on attend qu’ils fassent le relais des mesures auprès de leurs équipes.
A la suite de cette expertise, les élus ont proposé la mise en place d’un dispositif d’alerte permettant à des salariés en souffrance de s’adresser à une personne identifiée pour parler de leurs difficultés ou de leur mal-être. Ce dispositif devait s’articuler autour de « Sentinelles » issues de différentes structures du corps social de l’entreprise : délégués du personnel, élus du C.H.S.C.T., responsables ressources humaines, managers de proximité, collaborateurs. Tous les salariés devaient avoir connaissance de cette structure et pouvoir contacter à tout moment la « Sentinelle » de leur choix, de façon anonyme.
La direction ayant accepté cette demande, un comité paritaire composé de représentants du personnel, représentants de la direction, représentants des managers et des salariés, et de représentants des services de santé au travail a été mis en place afin de constituer un réseau de salariés appelés « Référents SVT (santé vie au travail) ». Ces référents ont été choisis par ce comité après un appel à candidatures internes. Le choix s’est porté sur des personnes d’une ancienneté dans l’entreprise supérieure à deux ans et reconnues pour leur empathie et leur simplicité relationnelle avec les autres.
Le réseau a vu le jour en mai 2014.
Les étapes de mise en place du réseau et les difficultés rencontrées
Définition des fonctions
La première étape a été de définir les fonctions d’un référent et ses limites, les qualités nécessaires et les profils recherchés.
La version retenue pour la fonction de référent est la suivante : « le référent a, au sein de la société Accor SA, pour vocation de contribuer à l’assistance de salariés en difficulté au travail par l’écoute et l’orientation vers les interlocuteurs internes appropriés ». Elle est inscrite dans la charte du référent Accor[2].
Les missions entrant dans le périmètre du référent SVT sont les suivantes :
- l’écoute des salariés en difficulté au travail
il doit pouvoir reconnaître les signes de stress, d’anxiété ou de souffrance et pratiquer l’écoute active - l’assistance
il doit se montrer disponible pour recevoir un salarié qui en fait la demande, et être capable d’orienter cette personne vers l’interlocuteur interne ou externe approprié - le recueil d’informations
il contribue à l’élaboration d’un tableau de bord de suivi des risques psychosociaux au sein de l’entreprise en communiquant au coordinateur des informations non nominatives issues des entretiens (direction de rattachement, site, sexe, etc.)
En aucun cas le référent ne doit prendre en charge le problème. Il doit garder sa neutralité et ne pas se laisser emporter par ses émotions. Il ne doit pas chercher à résoudre les difficultés lui-même, mais orienter vers les personnes adéquates.
Le référent ne doit pas non plus confondre sa mission de référent avec ses autres fonctions professionnelles, de management ou de représentation du personnel.
Ces missions sont associées aux qualités de neutralité, de confidentialité, d’empathie, de sociabilité, d’écoute, de disponibilité et de bienveillance.
Les difficultés
La définition des fonctions du référent fit l’objet de nombreuses discussions. Les désaccords portaient sur la notion d’écoute sans action et sur les interlocuteurs internes vers lesquels orienter le salarié.
Pour les représentants du personnel, écouter sans agir était en contradiction avec leur rôle. Quelle pouvait être l’utilité pour un salarié de saisir un référent si celui-ci n’agissait pas ? La fonction d’écoute leur semblait insuffisante, et bien qu’ils l’aient acceptée, la question, à ce jour, reste en suspens pour certains d’entre-eux.
En ce qui concerne les interlocuteurs internes, les managers membres du comité paritaire se montrèrent peu favorables pour inclure les représentants du personnel dans les interlocuteurs internes vers lesquels orienter le salarié.
Un peu de pédagogie s’avéra nécessaire. Un délégué du personnel expliqua que lorsqu’un salarié souffre d’un conflit « vie professionnelle/vie personnelle » et que son travail empiète sur sa vie privée, il apparait parfois que dans son service les réunions commencent le matin à 8h ou le soir après 17h30. Or cela est contraire à l’accord égalité homme/femme signé par les organisations syndicales de Accor et en vigueur dans l’entreprise.
Dans ce genre de situation, le référent peut orienter le salarié vers un délégué du personnel afin que celui-ci fasse respecter par le manager l’accord signé.
Ce point fut accepté par les membres du comité paritaire.
Identification des référents potentiels
Ensuite les membres du comité paritaire identifièrent et contactèrent des collaborateurs répondant au profil. Chaque membre du comité paritaire proposa une ou plusieurs candidatures, dont, pour certains d’entre-eux, la leur. Par ailleurs des collaborateurs qui avaient entendu parler de façon informelle de la mise en place d’un réseau de référents se portèrent spontanément candidats. Les responsables des ressources humaines rencontrèrent chaque personne. 30 référents potentiels furent retenus. Il est important de préciser que les personnes non retenues le furent sur des critères de comportement connu et non en raison d’une fonction ou d’une appartenance à un service. A titre d’exemple, des délégués syndicaux et des membres du CHSCT furent choisis par le comité et les ressources humaines.
Des outils ont été créés afin d’aider les référents dans leur rôle : guide méthodologique d’intervention, fiche de compte-rendu d’entretien et fiche de transmission de certaines informations au comité paritaire pour analyse.
Le guide méthodologique[3] est destiné à préparer le référent à mener un entretien : comment accueillir le collaborateur, comment démarrer l’entretien, comment le conduire par le questionnement et la reformulation, et comment le conclure.
Ce document donne des exemples concrets pour chaque étape : réserver une salle à l’avance pour rencontrer le salarié, poser le cadre de l’entretien en rappelant la fonction du référent, sa mission et ses limites et la confidentialité des échanges.
On y aborde également le questionnement et la reformulation avec un choix proposé de questions : « de quelle façon, où, qu’avez-vous ressenti, en quoi est-ce important pour vous ? » ; et aussi : « si je comprends bien, pour résumer, de votre point de vue ».
L’outil suivant est un compte-rendu d’entretien salarié[4], facultatif, sous forme d’un tableau excel. Répertoriant de nombreux facteurs de risques psychosociaux reconnus tels que la charge de travail, la reconnaissance ou les exigences émotionnelles, il en donne la définition, afin d’aider le référent à mener son entretien.
Le dernier outil, une fiche de transmission des données[5] reprend des informations non nominatives, à communiquer au coordinateur du réseau, pour que celui-ci établisse un tableau de bord de ces risques destiné au comité paritaire en vue d’analyse et de plan d’actions. Il s’agit de la ou des raisons pour lesquelles le salarié a souhaité un entretien : rythme de travail, conflit de valeurs, confiance entre collègues, etc.
La formation et l’engagement
Après une formation d’une journée sur le rôle d’un référent, sur la conduite d’entretien et sur les risques psychosociaux animée par une société spécialisée, les salariés signent une charte d’engagement (cf. note 45) et de confidentialité, construite en concertation avec le service juridique de l’entreprise. Elle reprend les fonctions du référent, ses qualités, et une mention manuscrite par laquelle il s’engage à respecter la confidentialité des échanges qu’il pourrait avoir avec des salariés dans le cadre des entretiens. La charte signée est conservée à la direction des ressources humaines.
La communication
Les étapes suivantes ont vu la mise en place d’une adresse mail générique pour contacter les référents et le comité paritaire, ainsi que la nomination d’un coordinateur du réseau. Enfin, la direction des ressources humaines a réalisé une campagne de communication par mail et intranet pour annoncer aux collaborateurs la mise en place du réseau, présenter les référents et leur rôle, et mettre à disposition une liste nominative accompagnée d’une photo et des adresses email de chacun
Quel accueil pour le réseau interne de référents ?
Le réseau a reçu spontanément un accueil favorable de la part de tous les acteurs de l’entreprise, mis en place, il faut le rappeler, par la direction. Tout d’abord les Instances Représentatives du Personnel, et principalement les CHSCT[6] qui en sont à l’origine.
Les délégués du personnel et les membres des comités d’établissement n’hésitent pas à conseiller aux salariés de s’adresser à ces référents formés à l’écoute.
Le service de santé au travail s’est montré positif vis-à-vis de ces référents disponibles pour écouter les salariés ayant « simplement » besoin de parler.
Enfin les managers et les collaborateurs ont eu l’impression que l’entreprise faisait « quelque chose pour eux » et que leurs difficultés ou leur mal-être étaient pris en compte.
En complément, il nous paraît intéressant d’ajouter que les managers ne conseillent pas à un collaborateur de contacter un référent, ou ne signalent pas à un référent un collaborateur en souffrance. En revanche, des référents de statut manager ont été identifiés grâce au trombinoscope affiché à chaque étage et ils reçoivent des managers ayant besoin de parler à un pair.
Ce point nous paraît capital. C’est pourquoi nous avons prévu, dans notre accord d’entreprise, une mesure permettant d’identifier les référents SVT managers pour qu’ils puissent jouer pleinement leur rôle d’écoutant auprès des autres managers.
La situation du réseau à ce jour
22 salariés référents
17 salariés rencontrés entre mai 2014 et décembre 2015
992 salariés sur le site du siège social
Doit-on se réjouir du nombre de 17 salariés rencontrés parce qu’il signifie que les salariés de la société Accor SA ne souffrent pas au travail ? Doit-on s’en inquiéter parce qu’il signifie que les salariés n’ont pas confiance dans les membres du réseau ou qu’ils n’en comprennent pas l’utilité ? Ou bien d’une manière générale les salariés font-ils peu appel à ce type de dispositif, préférant des canaux plus traditionnels comme les ressources humaines ou les IRP[7], c'est-à-dire des canaux leur permettant de trouver des solutions à leurs difficultés ?
En 2016, l’entreprise s’interroge sur son réseau interne. Il est important de préciser que son existence n’est pas remise en cause, bien au contraire. La direction est convaincue que le réseau a sa place parmi les différents intervenants du siège : service médical, responsables des ressources humaines, représentants du personnel.
Dans la deuxième partie de ce mémoire, nous reviendrons plus en détail sur le cas de la société Accor pour l’accompagner dans sa démarche de réflexion. Nous avons mené une enquête auprès des salariés afin de connaître leur niveau de connaissance du réseau et leur appréciation de ce dispositif. Nous avons également questionné les référents sur leur vision de leur rôle et leurs attentes éventuelles.
Leurs réponses ont été intégrées dans le projet d’accord visant à encadrer le réseau d’écoute interne qui est présenté en partie 3.
[1] Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail
[2] Cf. annexe 2 – en fin de mémoire
[3] Cf. annexe 3 en fin de mémoire
[4] Annexe A – Accord d’entreprise
[5] Annexe B – Accord d’entreprise
[6] Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail
[7] Institutions Représentatives du Personnel